Même si des associations de passionnés en sont souvent à l’origine, les festivals de bandes-dessinées sont majoritairement financés par les mairies, les éditeurs et les libraires. C’est normal, parce qu’un festival, ça coûte de l’argent. Il faut trouver les sponsors et tous les intervenants qui auraient un avantage financier à participer. Le but de la mairie est de faire vivre la ville, et le but du libraire et de l’éditeur est de faire des pépettes. Le but des membres de l’association, ben… c’est d’avoir la possibilité d’inviter leurs artistes préférés. Pour cela, il faut dépenser le budget de l’asso, puis le renflouer, notamment en vendant divers produits pendant le festival. Tout ce petit monde contacte donc les artistes dont les livres sont disponibles en librairie afin qu’ils poussent les ventes en dédicaçant les livres proposés par la librairie. Uniquement ceux de la librairie. Si vous vous pointez au stand avec un vieux livre pour une dédicace, le dessinateur ou le libraire risque de vous envoyer gentiment vous faire foutre. Notez que pour les éditeurs, la vente d’occasions aussi, c’est le Mal. En effet, dans le cas d’une occasion, tous les pourcentages sont déjà payés, et l’éditeur ne touche rien.
Naturellement pour qu’un artiste accepte de venir, il faut que ce soit rentable, et s’il paie des frais de transport, d’hébergement et de restauration, il risque de ne pas s’y retrouver financièrement, et refuser sa participation. C’est pour ça que l’artiste est généralement traité comme un coq en pate, soit grâce au budget du libraire, voire de l’éditeur, soit grâce au budget de la mairie (ce qui est toujours préférable), parfois avec celui de l’association qui essaiera tant bien que mal de se rembourser pendant le festival. Tous les frais de l’auteur sont remboursés, et une participation à un festival, pour lui, c’est tout bénef’ ! La situation est bien entendu différente pour les artistes en auto-édition dont le livre n’est pas disponible en librairie. Dans ce cas, pas de participation du libraire aux frais. Et l’éditeur, c’est l’auteur lui-même, donc pas de défraiement de la part de l’éditeur non plus. Et pas la peine de compter sur l’association, son budget ayant été explosé par l’invitation des artistes indispensables, mais on peut souvent espérer un stand gratuit, ce qui est toujours bon à prendre si on n’habite pas trop loin. Il ne reste plus que le budget mairie, et il arrive parfois que la mairie mette tout le monde au même niveau et accorde un défraiement à tous les artistes, quels qu’ils soient, ce qui permet à l’auteur en auto-édition d’au moins se faire connaître sans dépenser d’argent.
Reste la possibilité de participer à des conventions. Là, c’est simple, tout le monde est à égalité. Il suffit de payer une somme prohibitive pour le stand en plus des frais. Tout le monde est au même niveau mais la barre est placée trop haut, donc les auto-éditeurs qui ne vendent pas beaucoup n’ont plus qu’à rester chez eux.
Mais ce n’est pas ce que perçoivent les clients, et encore moins les auteurs invités par les libraires et éditeurs. On ne peut pas dire que le succès des auteurs leur monte à la tête, parce que certains n’ont pas beaucoup de succès. En revanche, ils sont tous très conscients de leur statut, par rapport à celui des auto-éditeurs. Par extension, les clients sont également très conscients du statut des auteurs, et se promènent dans un festival comme dans un mini-festival de Cannes, à la recherche de célébrités dont ils n’avaient pour la plupart jamais entendu parler. Malgré les efforts de la mairie pour nous intégrer, tout ceci crée un écosystème un peu bizarre, qui différencie les artistes élus, ceux qui ont été choisis par un grand éditeur, des intrus, ceux qui n’ont pas été choisis, ceux qui voudraient bien mais ne peuvent pas. Et comme on nous inculque à l’école que la réussite dépend uniquement du mérite (il faut bien que les élèves y croient, sinon ils ne travailleraient pas), on a tendance à penser que ceux qui n’ont pas été choisis ne valent tout simplement pas le coup. Si ce sont des scénaristes, ils n’écrivent peut-être pas assez bien (après tout, comment savoir…), calquent leurs histoires sur des thèmes existants ou collent trop à l’actualité (une qualité dans l’univers des comics et des manga qui ciblent un public populaire, mais pas dans celui de la BD française qui cible plutôt celui des collectionneurs et des amateurs d’Art. Et on les comprend, c’est beau, un livre dans une bibliothèque…), n’abordent pas des sujets acceptables par un éditeur (pour les conformistes, qui n’apprécient pas Games of Thrones, Le silence des agneaux, les romans de Bukowski, et plein d’autres œuvres allègrement acceptées par leurs éditeurs). Difficile d’en être sûr sans ouvrir le livre pour en feuilleter un peu les pages, mais à quoi bon ouvrir un livre en auto-édition ? Quel intérêt, puisqu’il n’est pas édité par un grand éditeur ? Certains festivals s’appliquent à nous mélanger, ce qui nous permet de faire connaissance entre nous, et peut mener à terme à des collaborations (dans mon cas, par exemple. Je vous en reparlerai quand le contrat sera signé, s’il est signé un jour…), mais ça reste rare. Dans beaucoup de festivals, on a d’un côté le stand du libraire, avec les vedettes invitées qui partiront toutes au restaurant à midi, pour revenir vers 15H00, après le digestif, et les stands périphériques des auto-éditeurs et autres fanzines, dont les occupants resteront manger sur place, souvent à leurs frais.
Et ça, c’est quand on arrive à réunir les fonds pour s’éditer soi-même. C’est beaucoup plus facile maintenant que dans les années 80 grâce au numérique, qui permet de créer des livres imprimés à la demande et réduire ainsi l’investissement et les stocks, ou tout simplement de vendre la version digitale du livre dans des bibliothèques numériques (et c’est parfois même sans aucun frais dans le cas d’un financement participatif réussi). Mais avec ces deux méthodes d’édition, on se heurte de plein fouet à la chaîne du livre, dont je parlerai dans un article à venir.