Je suis Charlie

Ceux qui me suivent sur Facebook ont probablement remarqué que ma photo de profil Je suis Charlie n’a jamais disparu depuis les attentats de Charlie Hebdo. Les rares personnes qui ont lu Rage 1 auront également remarqué ce même logo en arrière de couverture. Je l’ai ajouté à Rage 1 parce que l’épisode abordait l’intégrisme et quelques autres sujets de société actuellement à la mode (mais qui à l’époque commençaient à peine à prendre de l’ampleur aux USA), mais aussi parce que cet épisode est paru le mois de l’anniversaire des attentats de Charlie Hebdo.

La photo de profil Je suis Charlie ne disparaîtra pas de mon profil Facebook. J’explique pourquoi dans mon livre 10 ans de galère. Elle ne sera pas remplacée par un Pray for Paris, Je suis enseignant, Je suis Paty, Je suis pas là ou tout autre logo collant à l’actualité pour marquer le coup. Parce qu’on n’est pas Charlie pour marquer le coup. On l’est sur la durée, même quand ce n’est pas populaire, voire critiqué par tous.

Et c’est important parce qu’à l’heure où j’écris ces lignes, on est en train de replonger dans un cycle qui va encore favoriser la montée de l’intégrisme, puis du nazisme qui s’en nourrit à cause d’un nouveau crime. Tout le problème vient du fait que ce genre d’événement, un meurtre en l’occurence, est monté en épingle par tout le monde, quelle que soit la tendance politique ou religieuse, à cause des motivations de l’assassin. Dans une démocratie, un meurtre, ce n’est pas un crime contre la France, ce n’est pas une déclaration de guerre. C’est un meurtre, c’est tout. Si l’on considère que c’est plus que ça, si l’on glorifie les victimes par exemple, dans un sens, on glorifie aussi l’assassin, et on entre dans le même cycle qu’après les attentats de Charlie Hebdo. Dans un an, tout le monde va se demander si le meurtrier n’avait pas un peu raison, si la victime n’avait pas un peu exagéré. On va se poser toutes les questions qui nous feront oublier que quelqu’un s’est tout simplement fait assassiner par un taré. Et les tendances vont s’inverser. Et l’intégrisme va gagner du terrain. Et les nazis vont en profiter. Et les pays autoritaires et dictatures qui financent ces deux camps vont se régaler. Et tout le monde va encore se demander pourquoi je garde mon Je suis Charlie sur mon profil Facebook, au lieu de le remplacer par un Je reste correct de rigueur.

À l’heure où j’écris ces lignes, on est en plein délire. Le professeur de collège Samuel Paty s’est fait décapiter par un intégriste tchétchène parce que, comme quelques autres professeurs en France, il avait pour habitude chaque année de commencer un cours de liberté d’expression en montrant des caricatures du Prophète tirées de Charlie Hebdo. Cette année encore, des parents d’élèves se sont mis en colère, parmi eux des intégristes notoires. Mais cette fois, un taré lui a coupé la tête. Dans ces cas là, quand on est au gouvernement, et qu’on a le souvenir d’autres assassinats pour des motifs similaires, et qu’à plus forte raison, on est en train de plancher sur une loi sur le séparatisme, on a vite l’impression de ne pas en avoir fait assez. Alors on va faire un peu n’importe quoi. On a encore droit à des homages, un grand rassemblement contre l’intégrisme, on publie tous nos couvertures de Charlie Hebdo sur nos réseaux sociaux (moi y-compris), Paty aura la Légion d’honneur à titre posthume (comme le prince d’Arabie saoudite… Génial…), et si on pouvait le sanctifier, on le ferait (mais là, je crois que ça va pas être possible). Et dans la foulée, on se prépare à expulser du pays 200 personnes qu’on avait complètement oublié d’expulser avant. Si on continue dans cette veine, on va finir par créer une journée Paty nationale, et on portera tous des T-shirts de Mahomet pour montrer qu’on est pour la liberté d’expression.

Et après, la tendance va s’inverser. Vous l’avez remarqué après les attentats de Charlie, non ? Depuis le coronavirus, tout le monde a l’air d’aimer les courbes, alors voyez ça comme une courbe de l’intégrisme avec des pics d’attentats et de périodes calmes de plus en plus sécuritaires. Au premier attentat l’intégrisme baisse jusqu’à une période calme. Puis, le calme revient et l’intégrisme remonte plus haut qu’il ne l’était, jusqu’au prochain pic d’attentat qui le fait encore baisser jusqu’à une période calme encore plus sécuritaire que la précédente. Après chaque attentat, la période calme qui s’en suit favorise paradoxalement le nazisme, l’intégrisme des religions plus modérées que l’Islam et le politiquement correct.

Tout ça parce qu’on n’a pas considéré un meurtre pour ce qu’il est. Tout ça parce qu’on a essayé de lui trouver un sens, et qu’on a fini par jouer le jeu des intégristes. Pour le moment, mon logo Je suis Charlie est redevenu populaire. Dans quelques mois, tout le monde va se demander pourquoi il est toujours là.

S’occuper plus activement des écoles, en revanche est une excellente idée. Bien entendu, aucune éducation, qu’elle soit prodiguée par les parents, les professeurs ou tout autre moyen, ne va compenser pour une maladie mentale, et des cinglés, il y en aura toujours. En revanche, s’attaquer à cette espèce d’approbation latente par les personnes dites normales, qui finalement génère une forme d’autorisation du passage à l’acte, c’est bien le rôle de l’éducation, et il y a un réel effort à faire dans ce domaine. Un effort qui peut indirectement sauver des vies.

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