Au cours du festival Rencontre autour du 9ème Art, on m’a demandé pourquoi je ne plaçais pas mes livres en librairie. Du coup, j’ai encore été obligé d’expliquer qu’étant en impression à la demande, et essayant de maintenir mes prix de vente malgré l’augmentation du prix du papier, je ne pourrais pas donner 30 % à un libraire, parce qu’on ne gagnerait presque rien tous les deux sur chaque livre. Et là, j’ai eu droit à une réaction intéressante de quelqu’un qui (si je me souviens bien) travaillait dans une librairie 30 % ?! Comme un éditeur normal ?! Mais justement on est là pour vous aider ! Et j’ai donc cité l’exemple d’une copine en auto-édition, mais pas en impression à la demande (donc avec des livres beaucoup moins chers à l’unité), dont les livres sont bien dans une librairie, qui est régulièrement invitée au stand de cette même librairie à la Fête du Livre de Toulon, et à qui la librairie demande 30 % sur chaque livre. Alors la librairie fait peut-être ça pour l’aider, mais faut pas rêver non plus, c’est aussi parce qu’elle vend très bien ses livres (parfois mieux que certains auteurs édités), et que ses livres ne lui reviennent pas aussi cher que les miens (notamment parce qu’elles les fait imprimer en offset), donc elle peut se permettre de donner les 30 % demandés. Tout le contraire de moi.
Je suis quand même étonné qu’on puisse travailler dans une librairie et ne pas réaliser que ce qu’on appelle la chaîne du livre n’est qu’une simple chaîne de distribution maquillée en objet précieux culturel. Si les libraires ne m’aident pas, c’est normal. Et m’aider dans ce cadre ne servirait pas à grand chose de toute façon.
Peut-être qu’en détaillant, vous allez comprendre :
Les éditeurs veulent avoir la place la plus importante dans les rayons des librairies afin d’avoir une visibilité maximale. Pour ça, il faut bien sûr éditer le plus de merdes possibles, même si elles sont mal écrites et parfois mal dessinées. Si c’est passable, ça veut dire que ça passe. On s’en fout, les gens achètent. Avec une bonne promotion et des articles élogieux, vous allez acheter les BD de l’éditeur, les lire (quand vous trouverez le temps), vous dire que vous avez passé l’âge mais que ça vous aurait sûrement plu quand vous étiez petit, et refermer le livre avec la petite pointe de nostalgie du gars qui a consommé de la merde, mais qui est content quand même, surtout s’il a passé un moment intéressant avec le sympathique dessinateur en festival qui lui aura fait une jolie dédicace.
Mais le pire ennemi d’un éditeur, c’est un autre éditeur. L’autre éditeur voudrait lui aussi une place importante dans les rayons, lui aussi édite plein de merdes, et cet emmerdeur veut prendre toute la place. Pour ça, il est prêt à payer un plus grand pourcentage au libraire, ou à lui donner plein d’autres petits avantages, notamment sur les retours qui sont parfois bien problématiques.
Et c’est comme ça qu’on en est arrivé à des pourcentages qui lorgnent vers le plafond et qui peuvent paraître astronomiques aux petits éditeurs. Et nous, quand on débute, on arrive comme ça, tout innocent, en s’imaginant que le libraire peut nous aider même si on lui donne un petit pourcentage et qu’on ne vend pas trop bien nos livres parce qu’on est au ras du sol au niveau promotion (pas assez d’argent, et les journalistes appartiennent aux mêmes grands groupes que les éditeurs, donc ils ne parleront pas du concurrent, même pas pour en dire du mal). Le seul moyen d’aider les auto-éditeurs comme moi, c’est de placer carrément le livre en vitrine ou sur le comptoir, mais quel intérêt ? En vitrine et sur le comptoir, comme dans les rayonnages, la place est limitée, et tant qu’à exposer un livre, le libraire va plutôt exposer celui qui rapporte ou un livre qui lui plait vraiment (et qui n’est pas forcément le vôtre), donc même s’il a vraiment envie de vous aider, le libraire va placer votre livre dans un bac avec ceux d’autres petits éditeurs et il ne se vendra pas parce qu’on ne le verra pas.
Les festivals, c’est pareil. Votre libraire peut vous accueillir sur son stand, mais ses places sont limitées. Ça signifie que si vous êtes invité sur le stand d’un libraire pour lui rapporter 30 ou 40 euros de bénéfice, vous prenez la place de quelqu’un qui aurait peut-être pu lui rapporter 300 ou 400 euros. Vous voyez le problème ? Toujours pas ? Le secret de l’empathie, c’est d’arriver à se mettre à la place des gens. Mettez-vous à la place du libraire.
Ceci dit, une chaîne de distribution n’est pas une entité machiavélique qui va sciemment écraser les plus faibles. Voyez-la plutôt comme un éléphant qui écrase une fourmilière. L’éléphant n’a pas spécialement envie d’écraser la fourmilière (ni de ne pas l’écraser d’ailleurs). Il se contente de marcher, de fonctionner. C’est juste un système. Si vous êtes dans le système, vous pouvez devenir anti-système et vous plaindre d’être mal payé. Si vous êtes en dehors du système, vous ne pouvez même pas spécialement être anti-système. Vous pouvez juste essayer de ne pas vous faire écraser, et ce ne sera déjà pas si mal.
Quand j’aurai assez d’argent pour investir dans une impression offset de mon premier livre avec un nombre d’exemplaires raisonnable (ce qui fera baisser le prix unitaire), je pourrai au moins essayer de contacter des libraires, mais là, je ne peux pas. Je pourrais arrêter de créer de nouveaux livres et mettre de l’argent de côté ou prendre un prêt (ou les deux) pour créer une édition offset de mon premier livre, mais même sans faire d’étude de marché, j’ai le sentiment que ce n’est toujours pas le moment.
Du coup, je vais continuer à dépenser mon argent pour payer les artistes qui travaillent avec moi et créer les BD qui me plaisent… sans trop les vendre. D’un point de vue capitaliste, ça n’a strictement aucun intérêt puisque mon déficit se creuse tous les mois, mais écrire des scénarios est quelque chose qui me plait réellement. Contrairement aux scénaristes qui arrêteraient tout si leur activité ne marchait pas et feraient complètement autre chose, ceux qui ont peur de se faire remplacer par des IA, ou (soyons honnêtes) par leurs pires ennemis, les autres scénaristes, moi je paie littéralement pour écrire, et j’ai une multitude de petits boulots alimentaires qui me permettent de financer mes projets.
Pour le moment, je m’en accommode plutôt bien, je ne présente plus aucun projet à des éditeurs parce que j’en ai un peu assez d’essayer de trouver un dessinateur pour percer dans un marché bouché. Dans un milieu où tout ce qu’on demande à un scénariste, c’est d’être capable d’aligner deux mots et de suivre un schéma, il y a beaucoup trop de prétendants et pas assez de places de toute façon. Donc, pour le moment, je continue comme ça, et je ne vois toujours pas de raison d’arrêter.
Tiens ben je crois que je vais refaire de petits articles de ce type sur ce blog (au risque de me répêter), parce que c’est vrai qu’on a besoin de clarifier régulièrement certains trucs quand même.
Bon allez, c’est l’heure de l’apéro ! Je vous laisse avec une galerie de bouquins 100% artisanaux, même si on utilise quand même pas mal d’informatique pour les couleurs, le lettrage, les maquettes, et heu…
Allez, je vous laisse avec une galerie de bouquins artisanaux à 50%.