Le 9 novembre 2020. Notez la date. Vous n’allez pas comprendre tout de suite, mais il s’agit de la date du début de la mutation des petits commerces. Bon allez, d’accord, la mutation a commencé bien avant, avec d’autres acteurs du marché, mais le 9 novembre 2020 est la seule date officielle que j’ai pu trouver, alors je vais choisir celle-là…
Le 9 novembre 2020, Intermarché va lancer son premier drive solidaire. Ça consiste à permettre aux libraires (dans un premier temps) d’utiliser son infrastructure numérique pour vendre leurs livres en Click & Collect.
Le Click & Collect, c’est la possibilité pour le client de réserver un produit en ligne et d’aller le chercher au magasin. En période de pandémie, ça permet aux magasins de rester ouverts et de vendre leurs produits par réservation sans avoir à laisser entrer personne, et en contrôlant l’afflux de clients. Incidentellement, le système permet également aux magasins de gérer leurs stocks en temps réel.
En tant que client, je trouve que c’est une super idée, et elle part d’ailleurs d’un bon sentiment : aider les petits commerces à ne pas fermer tout en contribuant à prendre des parts de marché à Amazon, qui a naturellement tendance à tout raffler.
Pour un petit commerçant en revanche, sur le principe, c’est à réfléchir. Ça revient à donner une vue sur ses stocks et ses ventes à une entité qui était autrefois concurrente. On ne voit pas trop ce que l’entité en question pourrait faire de cette vue sur son activité, à plus forte raison quand cette activité est réduite au minimum, mais on a quand même un vague sentiment de malaise. Un vague sentiment de dépendance. Et pour une personne fondamentalement indépendante, ce n’est pas un sentiment agréable…
Evidemment, toutes les relations seront transparentes, parce qu’il est ici question d’aider des entités dans le besoin pour ne pas qu’elles ferment. Et puis on a le même ennemi, et comme dit le proverbe, les ennemis de mes ennemis etc.
Mais retenez la date quand même, parce que même si les intentions d’Intermarché sont très louables, ITM Entreprises ne sera pas le premier grand groupe à proposer d’aider les entités qui vont fermer. TOUS les grands groupes vont s’y mettre. Même les banques pourraient entrer dans la brèche. Même Amazon.
Et que va-t-il se passer après ? Est-on en train d’assister à une histoire montée comme un manga d’action pour adolescents, dans lequel deux anciens ennemis s’allient pour combattre un ennemi beaucoup plus fort ? Ben non, il est en train de se passer quelque chose de très courant dans la vie économique : vous allez fermer ? Si vous êtes bien situé, on peut vous racheter. D’abord on va tous vous aider, ensuite on va trier les magasins en fonction de leur situation géographique, trier les magasins qui font le plus de revenus avec une activité minimale, et tout en continuant à aider tous les magasins sans exception jusqu’à la fin de leur crise (qui va durer un peu plus longtemps qu’un confinement), on va embrayer sur des propositions de collaboration de plus en plus poussées, jusqu’à une proposition de rachat qui fera du commerçant indépendant un salarié de sa propre entreprise.
Devenir salarié d’un grand groupe dans une entreprise qu’on a contribué à créer, ça peut avoir quelque chose de rassurant, mais pas si on a un chiffre d’affaire minimum à réaliser impérativement tous les mois, pas si le grand groupe se retrouve lui-même en crise et obligé de fermer la plupart de ses succursales.
Et pourtant c’est l’avenir du petit commerce. Dans quelques années, quand la crise économique sera devenue encore plus présente, beaucoup de magasins de proximité seront toujours là, mais la plupart ne seront que des enseignes.