Une photo de livres sur un banc…

Concernant la fermeture des librairies, le dernier post de propagande que j’ai pu voir passer sur facebook était une superbe photo de livres sur un banc postée par Alexandre Jardin (écrivain citoyen). Alors tout y était : l’effet de bokeh en arrière plan, la prise de vue superbe du banc avec ses livres posés dessus. Si un jour les livres de Jardin ne marchent plus, il pourra se reconvertir sans problème comme photographe professionnel, et vendre ses photos sur un site de stock shots. Après, il aura de la concurrence, parce que des photos de livres sur un banc, on en trouve plein sur Internet.

Le commentaire accompagnant la photo était lui aussi particulièrement poétique : Très ému ce matin par cette dame qui a déposé des livres sur ce banc, des livres qu’elle partage « puisque les librairies sont fermées ». Ce geste tout simple me bouleverse. Quand j’ai vu que cette photo avait fait 49 000 Likes, 5 600 commentaires et 45 000 partages, moi aussi j’étais boulversé… C’est un peu comme le bouche-à-oreille de mon époque, ça. Quand on triche un peu, ou que quelqu’un triche pour vous, ça marche du tonnerre.

Après, il faudrait remplacer puisque les librairies sont fermées par même quand les librairies sont ouvertes. Laisser des livres usagés dans une boîte de prospectus, un banc ou une boîte réservée près d’une médiathèque, ça existe depuis très longtemps chez nous. Les gens les prennent, les lisent, puis les reposent à leur place. Ça se fera sûrement moins en temps de pandémie (si vous ne comprenez pas pourquoi, vous n’avez qu’à chercher combien de temps le virus survit sur du carton), et paradoxalement, ce type d’échange ne plaira pas forcément à votre libraire ni aux auteurs et aux éditeurs. Personnellement, j’apprécie beaucoup la générosité à l’origine de cette pratique, mais la récupérer en insinuant qu’elle existe à cause de la fermeture des librairies, je trouve ça malhonnête et malsain.

Ce qui me dérange le plus dans toute cette propagande, ce n’est pas la grogne des commerçants. Même avec les aides d’État, certains risquent de se retrouver avec une bonne partie du stock de Noël sur les bras. C’est plutôt cette manie qu’ont les libraires et le syndicat du Livre (avec le soutien des auteurs en plus…) de s’identifier à la culture. C’est le Livre qui représente la culture, pas la librairie. Il ne faut pas confondre le contenant et le contenu. Personne ne prive qui que ce soit de lire, et de nos jours, confinement ou non, si quelqu’un a envie d’acheter un livre, il peut l’acheter sans problème. C’est facile.

Et j’en profite pour couper et coller une partie d’un article sur la consommation que je suis en train de mettre à jour, parce qu’avec toute cette propagande de merde destinée à vous faire croire qu’on est privé de livres si on est privé de librairies, on est en train de vous faire oublier ce qu’est la consommation. Consommer n’a rien à voir avec Attendre.

Dans un monde idéal, quand vous voulez acheter un produit, vous mettez tout le monde en concurrence, et vous achetez le produit au prix le moins cher. Dans la réalité, ça ne se passe pas tout à fait comme ça. De nos jours, il est devenu très à la mode de sauver les petits capitalistes mesquins que sont vos commerçants de proximité des gros capitalistes envahissants comme Amazon. Pourquoi ? Parce qu’en plus de ne pas être une entreprise française, Amazon exploite son personnel, n’a aucune éthique, et exerce une concurrence déloyale pendant les confinements (entre autres). Bon, apparemment le confinement a redéfini la concurrence déloyale. Du coup, j’ai l’impression que quelqu’un de plus grand, beau, fort, intelligent et riche que moi exerce une concurrence déloyale envers moi parce que toutes les nanas sont pour lui, et que c’est pas juste… Au passage, j’ai lu les témoignages des employés d’Amazon, je les ai comparé aux divers petits boulots que j’ai l’habitude d’exercer de jour comme de nuit, et je ne les ai quand même pas trouvé si durs, chez Amazon…

Donc beaucoup d’entre vous n’achèterons pas chez Amazon pour toutes ces raisons un peu stupides. Mais vous avez tous acheté un truc sur Wish. Parce que Wish, ça va. Traduisez : on vous a pointé Amazon du doigt, mais pas Wish. Et même si vous vous doutez un peu de la façon dont les produits Wish sont fabriqués et de leur origine, vous vous en foutez. Si vous n’avez même pas l’impression de soutenir une dictature en achetant chez Wish, c’est parce que personne ne vous a pointé Wish du doigt par des posts en masse contre Wish.

Comme je l’ai écrit dans l’un de mes articles précédents, consommer, ça marche comme ça : quand vous trouvez votre produit au meilleur prix et aux meilleures conditions, si vous avez les fonds, vous l’achetez, quel que soit le vendeur. Il n’y a AUCUNE autre méthode. Ne vous demandez pas si vous achetez français ou non, puisque de toutes façons, vous allez acheter depuis la France. Ne vous demandez pas si vous alimentez de gros capitalistes au détriment de vos mesquins de proximité. N’achetez pas pour soutenir vos petits commerçants, c’est l’antithèse du commerce. Ne vous posez pas de question d’éthique. Dites-vous que plus votre gros capitaliste préféré gagne de l’argent, moins il aura de mal à payer une amende relative à ses pratiques illicites à cause d’une association spécialisée dans les droits de l’Homme dont vous ne faites de toutes façons pas partie. Ne vous demandez pas si vous devez absolument acheter sur Wish parce que Wish, c’est super-cool, alors qu’Amazon, c’est pas très tendance. Juste, consommez. C’est le seul moyen.

About Eric Peyron

Eric Peyron n'est un Expert en Rien. Après trois années de Fac dont deux redoublements, Peyron a commencé les petits boulots en intérim pour gagner un peu de blé. Heureusement, inconditionnel de comics en version originale (à cause de la censure et des traductions lamentables de la plupart des versions françaises de l'époque), Peyron est rapidement devenu traducteur d'anglais autodidacte pour des magazines informatiques des années 1990-2000, puis pour de nombreuses sociétés de traduction. Suite au refus par ces mêmes sociétés d'accepter une augmentation de ses tarifs en vingt ans, Peyron a fini par revenir à ses premiers boulots au SMIC, qui paradoxalement, vingt ans plus tard, rapportent plus que des traductions techniques… Actuellement, l'Expert en Tout fait donc de la mise en rayon, des inventaires et démonstrations en grande surface, monte et démonte des stands d'animation, donne des flyers aux passants dans la rue, distribue des prospectus dans vos boîtes aux lettres, et remplace des affiches dans les toilettes des bars et restaurants. De jour comme de nuit. Accessoirement, il est aussi auteur de BD en auto-édition, mais ça, vous le savez probablement déjà. Bref, Peyron est un type qui ne comprend absolument rien à rien, comme la plupart des imbéciles qui se baladent régulièrement sur les réseaux sociaux, mais ça va pas l'empêcher de donner son avis !

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