Alors comme aujourd’hui, je n’ai pas d’idée d’articles, je vais faire un couper-coller de l’une de mes pages statiques et la modifier un peu avant de la supprimer, pour vous parler de l’un des métiers les plus prisés pendant la bulle informatique de la fin des années 90 et du début des années 2000 : le métier de traducteur.
Bon après, je suis conscient que tout le monde s’en fout (d’ailleurs, cet article est limite chiant. Je suis en train de le relire, et même moi, je me fais un peu chier…), mais comme je n’annoncerai pas le lancement de ce blog avant le 19 novembre, date de l’anniversaire du Rage Website, je peux toujours écrire ce que je veux et je vous emmerde.
Alors pour balayer les idées reçues, quelle que soit l’époque, si vous travaillez comme traducteur salarié pour un éditeur, il y a de grandes chances que vous soyez au SMIC ou un peu au-dessus. Comme pour les métiers de la PAO et d’autres catégories de métiers spécialisés, ce n’est bien entendu pas normal, mais l’éditeur vous affirmera que ce sont les tarifs pratiqués, et c’est vrai que si tout les éditeurs pratiquent les mêmes tarifs, techniquement, ce sont bien les tarifs pratiqués. Chez les éditeurs. Mais ce ne sont pas les prix.
Vous ne travaillerez pas non plus à des tarifs corrects chez les sociétés de traduction, sociétés fondées par des traducteurs indépendants qui se sont placées comme intermédiaires entre les grands groupes et les autres traducteurs indépendants. Si vous travaillez pour un intermédiaire, vous serez nécessairement sous-payé, même s’il sera quand même possible de gagner une somme intéressante en sacrifiant vos week-ends et vos jours fériés.
On pourrait se dire que le métier de traducteur en France devrait être mieux encadré, mais les sociétés de traductions les plus problématiques n’ont pas leur siège en France. Le pays de prédilection des sociétés intermédiaires, c’est le Royaume Uni pour des raisons légales que je détaillerai probablement dans un prochain article, mais on en trouve également au Canada et dans certains pays d’Europe. Notez au passage qu’avoir un siège social dans un certain pays ne signifie pas que ses directeurs en sont forcément citoyens (et ça aussi, j’ai bien envie de le détailler dans un prochain article…) Bien évidemment, vous ne travaillerez pas pour le siège de cette société intermédiaire, mais pour une succursale sise quelque part en Thaïlande, en Chine, en Inde, au fin fond de l’Europe centrale et j’en passe. L’avantage, c’est que vous travaillerez chez vous, et l’inconvénient, c’est que vous ne serez pas assez bien payé par rapport à votre corps de métier.
L’idéal pour avoir une idée des tarifs, notamment pour les traductions techniques, c’est de travailler directement comme pigiste pour des magazines spécialisés ayant pignon sur rue, ou en tant que traducteur assermenté indépendant. Bon, ce sera peut-être plus parlant si je décris mon expérience.
Comme je l’ai écrit sur la page consacrée à mon « vrai métier », j’ai commencé à travailler dans la traduction il y a plus de 20 ans tout d’abord en tant que pigiste salarié pour les magazines des défuntes éditions Future France (Computer Arts, .net pro et bien plus encore, comme on disait chez eux), puis pour diverses sociétés de traduction, et il s’agissait d’un travail très bien payé. Les sociétés de traduction étaient bien entendu celles qui payaient le moins bien, mais la paie n’était pas trop mal pour l’époque. Quand l’éditeur des magazines pour lesquels je travaillais a fermé boutique, j’ai fini par travailler exclusivement pour des sociétés de traduction. Plus de 20 ans plus tard, les tarifs des traducteurs pour ces mêmes sociétés ont baissé au lieu d’augmenter, tandis que les charges sociales et le coût de la vie augmentaient de plus en plus.
Parallèlement à cette baisse des tarifs, les sociétés de traduction exigent de plus en plus d’activités gratuites de la part de leurs traducteurs « indépendants », l’activité la plus irritante étant le contrôle du contrôle qualité. Les sociétés de traduction sont à présent tellement inquiètes de la qualité, qu’après un contrôle de la traduction par un autre traducteur, elles demandent aux traducteurs originaux de contrôler le contrôle (gratuitement, bien entendu). Et elles peuvent s’inquiéter, parce que quand on est mal payé, on enchaîne trop de projets et on travaille beaucoup trop vite. Si en plus on a plusieurs contrôles qualité à corriger inopinément dans la même journée, on risque de bâcler le travail pour tenir les délais. Un risque qu’encourt également le traducteur chargé du contrôle qualité, aussi mal payé que les autres…
On ne sait d’ailleurs même plus quelle société est à l’origine du contrôle qualité. Au début des années 2000, c’était relativement simple : lorsqu’une marque comme Apple sortait un nouveau produit, elle envoyait à une société de traduction une enveloppe généreuse pour couvrir tous les frais, et la société de traduction répartissait ensuite le travail sur un certain nombre de traducteurs indépendants pour pouvoir tenir les délais. Tout le monde était donc relativement bien payé. À présent, les sociétés de traduction ne travaillent plus directement pour Apple et autres grandes marques, mais pour un intermédiaire qu’elles appellent Le Client. Avec une majuscule. Ça ressemble au début d’un film… Impossible de savoir pour qui travaille Le Client, ni combien d’intermédiaires se sont placés entre les grandes marques et les sociétés de traduction qui recrutent les indépendants. Et bizarrement, tout le monde en bout de chaîne est de plus en plus mal payé.
La seule solution que j’avais pour augmenter mes prix, c’était tout d’abord de proposer une augmentation des tarifs à l’intermédiaire pour lequel je travaillais, par acquis de conscience, puis, après le refus systématique de cet intermédiaire, proposer mes services à un nouvel intermédiaire à des tarifs plus élevés, les nouveaux tarifs étant systématiquement acceptés. Bien entendu, après avoir travaillé successivement pour une bonne dizaine d’intermédiaires majeurs, il ne m’en restait plus que deux ou trois, pour lesquels j’ai travaillé de moins en moins régulièrement à des tarifs de moins en moins intéressants, jusqu’à pratiquement arrêter.
Notez que l’autre solution pour travailler avec des intermédiaires sans perdre trop d’argent serait de sous-traiter systématiquement les travaux qu’on vous envoie à d’autres indépendants encore plus désespérés que vous, et donc encore moins chers, puis trouver un relecteur désespéré pour sous-traiter le contrôle qualité. Tout ce que vous aurez à faire dans ce cas, c’est transférer les documents, et vous occuper de la gestion de votre entreprise. Et au pire, si vos clients vous réclament de l’argent, vous répercuterez la hausse sur vos sous-traitants en prétextant n’importe quelle excuse, pour ne pas perdre un rond… Vous aurez ainsi le plaisir de devenir un intermédiaire de plus dans cette longue chaîne du bonheur, et contribuer vous aussi à la dégradation de notre métier.
En vingt ans donc, non seulement nos tarifs n’ont pas augmenté, mais ils ont même baissé (tarifs que nous ne contrôlons pas, bien entendu, un travail pour une société de traduction s’apparentant à du travail au noir déguisé), le but du jeu pour ces sociétés étant de dévaloriser notre travail en nous notant avec notre argent.
C’est peut-être un peu difficile à comprendre, mais on peut avoir une meilleure idée de la situation en remplaçant les traducteurs… par des plombiers. Imaginez une société de traduction ayant un problème de fuite dans ses bureaux, et donc obligée d’appeler un plombier. Après sa réparation, le plombier reçoit un appel de la société, qui lui annonce qu’il n’a pas fait un travail correct. La fuite était toujours là, la société de traduction a été obligée de la réparer elle-même, et n’est donc pas très satisfaite. Puis, au lieu de ne plus jamais avoir affaire à ce plombier à l’évidence incompétent, la société le rappelle quand même pour une autre réparation, mais à prix réduit parce qu’il a mal travaillé la première fois. Puis, elle le rappelle encore et encore, sans jamais accepter une augmentation de ses tarifs parce qu’il est évident qu’il ne travaille pas assez bien. Au lieu d’appeler tout simplement un autre plombier pour avoir du bon travail à un tarif correct.
Et là, en tant que traducteur, vous entrez dans un cycle dont il vous sera difficile de sortir, parce que payer, pour votre client, c’est un peu comme vous attribuer une note. Le client est votre professeur de plomberie, et vous êtes son éternel élève : le mauvais plombier qui pourrait faire des progrès, mais n’en fera jamais. Celui qu’on est bien obligé de mal payer, parce que son travail n’est pas toujours excellent, voire celui à qui l’on réclame de l’argent parce qu’il a occasionné trop de dépenses. Un pigeon, en d’autres termes.
Mes activités de traducteur d’anglais sont donc pratiquement au point mort depuis quelques années, et si elles reprennent, ce ne sera probablement pas avec des intermédiaires. Mais qu’à cela ne tienne ! Si c’est pour être payé à peu près au SMIC, je peux trouver un paquet d’autres métiers ! Pour en savoir plus, c’est par ici.