Auteurs et revendications

La propagande anti-gouvernementale étant toujours aussi virulente, même le problème de la rémunération des auteurs est à prendre avec des pincettes, ces derniers temps. Comme le mouvement des gilets jaunes, les auteurs de BD ont été récupérés par les propagandistes (pour plus d’infos sur ce que j’entends par là, relisez cet article), et ça s’est particulièrement vu pendant le deuxième confinement, lorsqu’ils ont soutenu les libraires qui s’érigeaient en seuls représentants de la culture par opposition aux vendeurs en ligne. La propagande, à laquelle de nombreux libraires ont joyeusement participé, a littéralement essayé de nous faire croire que tout le monde était privé de livres si les libraires étaient fermés… C’est un peu gros, mais plus c’est gros, plus ça passe… Après tout, l’essentiel en communication, ce n’est pas la vérité mais la crédibilité, et avec des moyens financiers conséquents ou l’aide (volontaire ou non) de structures qui récupèrent tous les événements qui divisent, on peut bénéficier d’un système de communication efficace, et on devient rapidement très crédible. Et naturellement, quand un groupe social est infecté par la propagande, tout le monde devient vite très énervé, à plus forte raison quand de nombreux magasins voient approcher la faillite. Et il n’y a pas si longtemps, c’était aussi le cas des auteurs eux-mêmes, nombre d’entre eux se retrouvant au RSA sans comprendre comment.

Si vous lisez ce blog régulièrement, vous l’avez deviné, mes activités ne m’ont pas laissé le temps d’écrire un nouvel article, alors j’ai tout simplement continué à puiser dans mes anciennes pages pour l’article du jour. J’ai écrit ce paragraphe il y a un an, alors que la mode était plutôt aux revendications des auteurs de BD, et je l’ai à peine modifié.

Pour les auteurs de BD, et les fonctionnaires en gilets jaunes avant eux, les revendications actuelles sont issues d’un constat : les gens qui gagnent bien leur vie peuvent se payer beaucoup moins de trucs qu’avant. Traduisez par : les prix augmentent globalement plus rapidement que les salaires, donc le coût de la vie est de plus en plus élevé, et les revenus n’arrivent pas à compenser. Bon en réalité, les revenus devraient arriver à compenser, mais il y a Internet à payer. Et Netflix. Et Disney+. Et Amazon Prime. Et YouTube Red. Et HBO Max, qui va devenir international et complètement indispensable dans quelques temps. Spotify, iTunes Music ou autres services d’abonnement musicaux. Les jeux vidéo. L’essence. L’alcool et les cigarettes surtaxées ou les cigarettes électroniques. Tout l’électroménager de base qui est devenu complètement indispensable sans qu’on sache trop pourquoi, avec l’augmentation de la consommation électrique que cela implique. Et les nouvelles consoles de jeux. Et le nouvel iPhone (un par personne dans chaque foyer…). Et j’en passe. Les dépenses actuelles de la grande majorité des personnes qui descendent dans la rue pour revendiquer n’ont plus rien à voir avec celles d’il y a 40 ans.

Et si l’inflation touche les salariés d’en haut (ceux qui gagnent bien leur vie), elle va nécessairement devenir dramatique pour les salariés d’en bas (ceux qui ne gagnent que le SMIC, voire moins). Dans le cas des gilets jaunes, il y a plus d’un an, les salariés d’en haut étaient descendus dans la rue pour revendiquer notamment l’augmentation du SMIC des salariés d’en bas qui n’arrivent pas à s’en sortir (ils ont l’air solidaires, comme ça, mais il faut savoir qu’une augmentation du SMIC des salariés d’en bas a pour conséquence d’augmenter aussi celui des salariés d’en haut). Suite à cette demande, le Président a bricolé une augmentation du salaire minimum qui n’a pas entrainé une augmentation du SMIC, et n’a donc aucune influence sur le salaire des salariés d’en haut qui commençaient quand même à le faire un peu chier. Du coup, tout le monde était de nouveau très énervé sauf les salariés d’en bas (les personnes comme moi à l’époque…) qui en ont bénéficié sans avoir rien demandé (j’ai un peu l’impression d’écrire un épisode des Shadoks).

Pour les auteurs de BD, le problème est similaire. De nombreux auteurs de BD fortunés voient leur niveau de vie baisser. Et si leur niveau de vie baisse, ça signifie que la situation des auteurs de BD d’en bas devient dramatique. Donc ce sont principalement les auteurs de BD d’en haut qui manifestent pour améliorer la situation des auteurs de BD d’en bas, et pouvoir en retirer les bénéfices. Au niveau des arguments, tout y passe. Il faut que les auteurs de BD puissent vivre de leur activité, à plus forte raison s’ils ne vendent rien (?) parce qu’il faut du temps et beaucoup d’albums pour que de nombreux auteurs aient du succès, donc si on ne garde que les auteurs qui ont un succès immédiat au détriment des autres, on va un peu vers une uniformisation de la culture et c’est pas bien (je crois qu’on ne se rend pas vraiment compte que la culture française est uniformisée depuis longtemps. Vous vous souvenez du festival du film fantastique d’Avoriaz ? Moi si. C’était le bon temps…), on voudrait toucher un chômage quand on n’a pas de projet de BD en cours (?), et j’en passe.

Tiens ben, si les auteurs pouvaient toucher un chômage (même si sa mise en place paraît un peu compliquée), ça aiderait bien les auteurs de BD d’en bas, qui pourraient enfin espérer une rémunération lorsqu’il n’y a plus d’à-valoir et que les albums en cours ne marchent toujours pas. Ça leur permettrait de surnager. Pour les auteurs de BD d’en haut, ce serait même mieux : ils pourraient toucher le chômage en plus de leur pourcentage de droits d’auteur qui est parfois très conséquent. Ça leur permettrait non pas de surnager, mais d’avoir une certaine latitude pour… choisir leurs projets avec plus de sérénité, voire arrêter un peu pour reprendre leur souffle, lever le pied, tout ça… Bref, à moins d’un bricolage administratif, tout ce qui bénéficie à ceux d’en bas est susceptible de bénéficier à ceux d’en haut. Comme pour les fonctionnaires en gilets jaunes. Une alchimie parfaite. Cette tendance à s’appuyer sur les cas les plus dramatiques pour des revendications personnelles, c’est un peu le point commun entre un populiste et un gauchiste : toujours les mêmes arguments.

À ceci près qu’on ne parle pas de salariat, mais de droits d’auteur. Une amélioration concrète de la situation des auteurs de BD d’en bas est possible, mais dans certaines limites. Elle ne ferait que reculer le problème, et n’apporterait de toutes façons pas grand chose aux auteurs de BD d’en haut. Pour que les choses s’arrangent avec la même méthode de paiement, il faudrait surtout qu’il y ait moins d’auteurs de BD, ce qui ne va convenir à personne…

Bref, avec toutes ces revendications, on est en train de faire un amalgame entre un auteur et un prestataire de service. Un prestataire de service peut augmenter ses tarifs en les indexant sur l’inflation. Pas un auteur. Et c’est normal parce qu’un auteur est payé en pourcentage sur une œuvre dont l’éditeur est en charge de la vente. Pour faire simple, si l’éditeur ne vend rien, l’auteur n’a rien. Ce qu’on peut indexer sur l’inflation, c’est l’à-valoir, mais un à-valoir est une avance sur droits d’auteur, et plus on l’augmente, plus il faudra vendre de livres pour qu’il finisse par être remboursé, donc si un premier livre n’a aucun succès, son auteur ne touchera presque rien pendant un long moment après le versement de l’à-valoir, en supposant qu’il touche quelque chose un jour. Un auteur sans succès qui a la chance de pouvoir créer plusieurs albums pourra d’ailleurs finir par être payé uniquement en à-valoir, ce qui est certainement bien pratique, mais loin d’être gratifiant.

Il y a bien évidemment une solution, que je vais développer dans un futur article, mais elle ne consiste pas à attribuer une aide à des auteurs pour qu’ils puissent s’en sortir pendant qu’il travaillent, ni même à augmenter leurs charges sociales pour qu’ils puissent toucher un chômage quand ils ne travaillent pas. Il suffit de les considérer réellement comme des prestataires de services et leur commander chaque planche de BD. De cette façon, les tarifs à la planche seront évolutifs. On peut même aller plus loin et leur attribuer des royalties en plus du paiement de chaque planche, leur donner la possibilité de commander un stock de livres et de les vendre eux-mêmes pour augmenter encore leurs gains en plus des royalties. Mais en échange, c’est l’éditeur qui va détenir les droits d’auteur. Parce qu’on ne peut pas tout avoir.

A propos Eric Peyron

Eric Peyron n'est un Expert en Rien. Après trois années de Fac dont deux redoublements, Peyron a commencé les petits boulots en intérim pour gagner un peu de blé. Heureusement, inconditionnel de comics en version originale (à cause de la censure et des traductions lamentables de la plupart des versions françaises de l'époque), Peyron est rapidement devenu traducteur d'anglais autodidacte pour des magazines informatiques des années 1990-2000, puis pour de nombreuses sociétés de traduction. Suite au refus par ces mêmes sociétés d'accepter une augmentation de ses tarifs en vingt ans, Peyron a fini par revenir à ses premiers boulots au SMIC, qui paradoxalement, vingt ans plus tard, rapportent plus que des traductions techniques… Actuellement, l'Expert en Tout fait donc de la mise en rayon, des inventaires et démonstrations en grande surface, monte et démonte des stands d'animation, donne des flyers aux passants dans la rue, distribue des prospectus dans vos boîtes aux lettres, et remplace des affiches dans les toilettes des bars et restaurants. De jour comme de nuit. Accessoirement, il est aussi auteur de BD en auto-édition, mais ça, vous le savez probablement déjà. Bref, Peyron est un type qui ne comprend absolument rien à rien, comme la plupart des imbéciles qui se baladent régulièrement sur les réseaux sociaux, mais ça va pas l'empêcher de donner son avis !

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